|
Catrine Godin - Entouré d’oiseaux
-----------------------------------------
Au presque été, la moelle attend la cuisant,
goulue l’ivresse à plus soif de rayons fastes,
délire photonique à longue propagation,
un bain d’or régénérant l’essence comme
la chaleur éveille les sens…d’avoir froid encore
quand le pollen des peupliers neige la ville
amoncelle son floclonneux mirage au long
des rues, des trottoirs, couvrant l’herbe jusqu’à
la disparaître : d’avoir froid, au cœur pourtant
que tout autour palpite et vibre le vert
vif et gavé de soleil, les êtres, les créatures,
les choses.
Entouré d’oiseaux, au milieu des fleurs,
des fleurs à dire
…c’est si beau les fleurs, si brefs, si plein, ouvert
Comme certains mots sont brefs et pleins, ouverts,
De sens, de forces, de fragilité, comme les mains,
les fleurs ; nos fleurs à dire, longues à mourir,
leurs pétales écumant tant l’absence, le silence,
tous les espaces manquants,
les manquées aussi.
|
|
Werne - Morron - Survie-Virus
------------------------------------
Wuhan, narine humaine, chauve-souris, pangolin, marché sur internet, petit émoji grrr aux antipodes, nous ne sommes pas concernés. Les frontières se ferment. Le danger s’approche. Les mots s’hémophilisent. La parole est KO. L’humanité est comptée jusqu’à dix, les phrases, les explications sont rejetées par une première vague avec les gobelets, les masques et les corps disloqués sur une plage de pub. Porteur sain, confinement, pandémie, pénurie, papier cul, farine, fosse commune, chloroquine, discours du roi, du président, du voisin…
Se laver le dos des mains, lire Proust, apprendre l’anglais, ranger sa cave, ne pas se toucher le nez, s’attacher comme un chien de ferme avec une chaine d’un mètre au moins, gestes barrières, distanciation sociale, mesure d’exception, syndrome respiratoire sévère aigu, gouvernement d’exception, perte de l’odorat , état d’urgence perte de goût… Gel hydro alcoolique, petite goutte de sang sur le doigt, rue vide à 8h à 12h, à 17h, ciel soulagé, air dégagé, retour sur soi, bonne résolution , grandes vacances, peur panique, je t’embrasse si je veux, rebelle d’Ikea, personne à risque, applaudissement à 20 heures, personnel soignant, expert, virologue, psychologue, sociologue, immunité collective, ultra libéralisation, retour aux frontières, apéritif sur Skype, WhatsApp, Messenger, Rainbow, Zoom conférence…
Mort par noyade dans son propre corps, quarantaine, hôpitaux construits en 15 jours, hôpitaux préfabriqués sur les parkings, corps alignés sur les plages, printemps de rêve derrière la fenêtre, l’humanité est envoyée dans le coin, statistique, assistance respiratoire, chiffre d’affaire, amazone, PIB, crise sanitaire, crise économique, crise de nerfs, sans domicile, solitude, petite vielle dans un couloir buvant sa soupe en sachet au 15ème jour, magasin de bricolage, vedette en guitare sèche, chanteur d’opéra sur le balcon, avion au sol, n’embrasser personne, tousser dans sa manche, faire son pain, regarder le nombre de mort à 20h, Italie, chair de poule, les nuages ne s’arrêtent pas aux frontières.
Le virus : « à l’époque où je vivais dans un très confortable trou de cul de chauve-souris, je ne pensais pas au nouvel an chinois, à la mondialisation des hommes du 21ème siècle.
J’ai vu que je pouvais rentrer par le nez de cet homme. Je l’ai fait et ainsi de suite chaque fois que l’opportunité s’est présentée. Maintenant, j’avance sans haine et sans culpabilité, naturellement. Vous parlez de guerre, personnellement je suis prêt à me mettre à une table des négociations afin de créer la première fédération mondiale du vivant. Une organisation où les territoires et les identités de chacun sont respectés »
|
|
Alexandre Castant - Virus Varia
------------------------------------
L’ennemi est là, invisible, paraît-il
Entre complotisme et parapluie
Monde orwellien, risques sanitaires et solidarité
Virus mutant et inquiétude mondiale
Faut-il y croire ? Encore ?
Faut-il le croire ? De ma fenêtre
Les rues sont vides
Les parisiens sont séparés/par une longueur
De deux pas
Les travailleurs indépendants n’ont plus d’argent
Les travailleurs clandestins n’ont pas d’argent
Les restaurants, les cafés et les commerces n’ont plus d’argent
Jusqu’à quand ? Les ondes semblent mauvaises
Paris se désemplit/déserté/dépeuplé
Dernière représentation ? Jusqu’à nouvel ordre
Dernière représentation… Avant ?
Isolés, repliés, reclus
Les manutentionnaires/devant un écran de silence/croient avoir pleuré
On meurt beaucoup maintenant
On a peur maintenant
On s’éloigne les uns des autres maintenant
Il faut lire, paraît-il, lire et écrire
Plus de gel hydroalcoolique,
Plus de masques, plus de médecins
Plus de départ/sauf/pour la traversée du Styx
Plus de gel : l’Hydre est diabolique
J’ai froid, je tremble, je n’ai pas de masques et nous tousserons ensemble
Panique dans la rue d’Elia Kazan ? À voir
Dès que l’électricité se rallumera
Dès qu’internet à nouveau marchera
Dès que le jour reviendra
L’avenue de la Grande-Armée ? filmée comme une absence ?
Les images de Jean-Pierre Melville mises à part
Il y a une histoire du cauchemar/et il s’en croyait protégé,
Pourtant/elle avait été peinte par/le royaume en exil/de l’éléphant noir à l’écharpe brodée
Et si les plantes en plastique se déshydrataient aussi ?
Alexandre Castant
-------
Virus, varia (17 mars-11 mai 2020), a été édité une première fois dans le cadrede l’édition spéciale de L’Atelier sonore d’esthétique« Le Monde sonore au temps du Coronavirus (générique) », station#26, 2020 >>> http://www.alexandrecastant.com/2020/05/19/virus-varia-fictions-poesie-2020-2/
|
|
Philippe Baudelot - Quelques heures en avril
------------------------------------
L'instant épouse l'ombre avant qu'elle s'effondre. Il cherche l'évidence aux confins des effacements. Il traque l'illusion dans les recoins des séductions. Il ne raconte pas. Il observe, contemple, s'abandonne au bruit des paroles. Il s'y noie sans se soucier où cela le conduit. Il suspend son regard au parfum de fleurs tôt écloses. Il s'efface, indifférent au temps comme le temps à lui-même. On entend la rue déserte. Le long des murs, des églantiers troublent des cambriolages . Accrochées aux balayages des contrevents, des araignées s’émerveillent de diableries. Elles raillent l'alternative annoncée à venir. Des auscultations persistantes tamisent de troubles les phrases et des corps. La régalade du verbe célèbre l'insignifiance. Des approbations interrompent les disparitions. La mémoire revient sur les ventres et les rêves disparus. L’œil s’étonne de la patience des lombrics. Je mastique la douce viande. Accrochées aux langes des inquiétudes, les mauvaises herbes s’émerveillent. Elles soulignent leurs pirouettes. Les bousculades de la hâte tamisent le soleil. Il pointe des rayons chavirés. L'équipée des rivières se fait inquiétante. Une chouette s'envole. Voleuse de nos songes, elle décroche et dérobe nos souvenirs,. Une plainte se mesure aux alternances nocturnes. Le moment surgit du présent. Sa fièvre se répand dans les futaies. Des tortillons de terre débordent des herbes. Les impacts des espoirs s’écaillent sur les cailloux. Ils abandonnent des éclats . Une femme se dénude. Toute. Elle s'inquiète de sa peau piquetée de gouttelettes. Peu emportent les iniquités lippues. Leurs impostures se perdent dans le matin qui paresse. La destruction s’empare du sensible. Les initiés se perdent dans leurs futilités. Des colverts se fondent dans d’absurdes démences. Les passants tombent au fond de tombeaux énigmatiques, à jamais ouverts. Des enfants se lancent dans des rondes. Ils dérivent vers des marelles effacées. Ils se rient des guérillas et des collisions. Insistantes, dépliées, de langues exquises en incursions, les peaux des femmes se gorgent de longues lampées d’eau. Elles roulent, maîtresses aux lectures volubiles, repues dans la perpétuation des lustres. Un flot de jupes s'en empare. Des murmures s'entrelacent dans la chaleur précoce. Impératives, flambantes de cadences, les jambes labourent les doléances de l'inattendu. Au delà de son dos, j'enserre des horizons alcoolisés. Nos chevelures se félicitent de ces concupiscences vigoureuses.
|
|
Nina Živančević - Her Voice Calling like Death
------------------------------------
Like the old age it calls in whispers, essential like Quevedo’s or Sevedo’s or Camoes’s it sounds like my own voice
So that I don’t drop a tear at leaving my native soil
She lets it drop instead of me and perhaps she doesn’t
Cause she is my predictable or perhaps unpredictible „I“ that
Part of me which cries around midnight without a penny
Without hope the part which lives the living death
and which like the old age calls in whispers, essential like Quevedo’s or Sevedo’s or Camoes’s
so truly, I tell my people
why do you need another Alvaro when Ricardo Reis tortures
everyone around here on daily basis?
Why do you need an extra Cairos when Fernando has already been
causing all that turmoil in our city?
Sometimes it seems to me when I visit her and she’s asleep, it feels
Like I myself should stay awake
Sometimes when I fall asleep she’s there to listen to
Her own breathing in my own lungs
She’s that better part of me as I am her sad and bad younger sister
However, I will rise up from her dark and heavy armor taken from Osiris
We know though that it is she who cleans the words
Which I had collected and then put together
And in a shool book future generations will have a mighty task
To distinguish our poems as we always manage to trick the readers
As when one reads my books in translation, the translation bears
Her voice
As she softens and then whispers in my own
In those books she translated into hers...
They call me Mina
And her, they call Nina
And sometimes this one person doubles
While becoming a gentle persona on her own
----
Njen glas kao smrt
Kao starost kao sapat šušti suštinom kao kod Kveveda ili Ševeda ili Kamoeša
zvuči kao moj
Tako kad odlazim iz rodnog kraja
Ne pustim suzu koju ona umesto mene pusti a možda i ne jer
Ona je upravo predvidljivo a i
Nepredvidljivo ono moje ja koje pred ponoć cvili bez obola i bez nade životno a mrtvo
I kao sapat šušti suštinom kao kod Kveveda ili Ševeda ili Kamoeša
I odista- lepo ljudima kažem
Šta ce ti još Alvaro kad te ovde vec
Danima Rikardo Reiš muči??
Šta ce ti i Kairos kad Fernando
Vec u gradu pravi zbrku??
Ponekad mi se učini , kada dodjem a ona usni, da ne treba i ja da zaspim
Ponekad kada spavam, ona
Osluškuje disanje svoje u meni
Ona je moje bolje ja, a ja njena nevesela neposlusna sestra
Izronicu uskoro iz njenog tamnog
Oklopa Ozirisa . A znamo pak,da
Ona cisti reci koje ja talozim pa spajam
i u dječjoj čitanci teško ce nas staviti na različita mesta jer uvek ih
Prevarimo, bas uvek
čak i kada čitaju moje prevedene knjige, prevedena beletristika sadrži njen
Glas
Dok pa sada ona
umekšava i šuška mojim , u onim knjigama koje ona prevodi
Mene zovu Mina,
A nju Nina-
A Nekad se udvostruči
Ta osoba, jako fina...
|